Est-ce la première fois que vous participez à un appel à projets destiné exclusivement aux femmes artistes ? En quoi cet appel à projets était particulier pour vous ?
C’est la première fois. Cet appel à projets était particulier pour moi car il fait partie des rares où j’ai été directement sollicitée. Je savais donc que mon travail avait été examiné avec attention et suscité de l’intérêt. Il a été lancé par les Amis du National Museum of Women in the Arts de Washington, et fédère donc autour d’une institution unique en son genre, un ensemble d’artistes, de commissaires, de structures de mécénat publiques ou privées, et enfin de collectionneurs et collectionneuses, autour de la question du soutien des artistes femmes qui restent encore, malgré les efforts de (re)valorisation effectués ces dernières années, largement sous-représentées. Par ailleurs, cet appel a été financé sur la base du financement participatif. A titre personnel, cet élan de solidarité m’est précieux. Je ne suis pas représentée par une galerie et finance mes projets avec mes fonds propres. Grâce à cette bourse, je vais pouvoir développer une partie L’Esprit du lieu, un projet que je développe depuis 2019 et qui a pour contexte les ressources archéologiques du lac de Nemi, en Italie. Tout cela demande de nombreux déplacements et un fort investissement, en temps comme en argent. Si je n’avais pas reçu cette aide, ces deux années de recherches, de prises de contact, de résidences, d’initiatives, auraient sans doute été perdues, ou en tous cas fragilisées.
Que vous inspire la scène artistique actuelle?
À vrai dire, je la regarde d’assez loin, car je fais partie de ces artistes qui ne peuvent rien considérer d’autre que leurs recherches en cours pour avancer. Comme mon travail actuel se concentre autour des archives du lac que je viens de mentionner, j’échange surtout avec des chercheurs, des archéologues ou des critiques directement concernées par mon sujet. C’est un peu obsessionnel, je l’admets, mais travailler en regardant au-delà de mon seul milieu professionnel me semble être assez sain et constructif.
Louise Bourgeois a écrit « l’art est une garantie de santé mentale », cette affirmation incarne- t-elle la situation en temps de pandémie mondiale?
Lors de la première vague, je venais de quitter mon logement et il m’était impossible d’emménager. Je n’étais donc pas confinée chez moi. J’ai tout de même trouvé le moyen, dès les premiers jours, de bricoler un laboratoire photo rudimentaire dans un coin de placard. J’ai passé mon temps à tirer des photogrammes et photographier les images des livres que j’avais sous la main. J’ai aussi visionné quantité de films, me suis lancée dans des marathons de lecture. Cela a été pour moi une façon d’organiser mon temps, de donner à mes journées un rythme, un semblant de normalité. Je crois que cela a été le cas pour beaucoup de monde, vu le nombre d’initiatives qui ont été développées pour rendre l’art et la culture accessibles en ligne. L’art est essentiel pour créer du lien, donner du sens, sortir de l’isolement. On se reconnaît dans un titre, un livre, une œuvre, c’est la plus belle des façons de se sentir appartenir à un ensemble, même isolé, de retrouver un peu d’espoir, de s’évader, se rejoindre et échanger. Je crois que durant cette année 2020, l’art a lui aussi joué un rôle de garde-fou. Il serait intéressant d’en prendre acte et de rémunérer décemment les artistes en considérant que leurs actions sont essentielles, pas seulement des initiatives de quelques idéalistes détâchées des réalités matérielles.